L’Initiative pour un devoir de vigilance au Luxembourg (IDV) composée de 17 organisations de la société civile a contribué aux activités du groupe de travail « entreprises et droits humains » du Ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE) dès sa création en 2019. Elle a participé non seulement à l’élaboration de deux plans d’actions nationaux en matière de droits humains et entreprises mais également à la mise en œuvre de certaines actions par le biais de ses analyses et propositions.
Suite à certaines démarches opaques et au non-respect d’engagements pris dans le cadre du Plan d’action national droits humains et entreprises 2020-2022 (PAN 2), l'Initiative pour un devoir de vigilance a pris la décision de se retirer du groupe de travail.
Procédures opaques dans le sous-groupe de travail « Pacte national »
Dans le cadre du sous-groupe de travail "Pacte national", des démarches concrètes auraient dû être mises en place pour que les entreprises effectuent un devoir de diligence sérieux auquel elles s'étaient engagées en juillet 2022. Malgré les demandes de l'Initiative depuis novembre 2022 de discuter des rapports des entreprises signataires du Pacte dans le sous-groupe de travail, il n’y a eu aucune transparence quant au choix des évaluateurs des entreprises, du calendrier des travaux à faire en amont et de l’application du cadre de référence de Shift validé par le groupe de travail du MAEE.
Ce n’est qu’après de maintes demandes que certaines informations ont été dévoilées fin mars 2023 par l’INDR/UEL, qui ont révélé l’envoi d’un questionnaire vidé de toute substance aux entreprises signataires du Pacte par l’INDR/UEL.
Détournement du cadre de référence de Shift
Lors de la consultation du document, il s’est avéré qu’il se limite à un exercice de « cocher les cases » dont le niveau d’exigence est beaucoup moins élévé que le cadre de référence de Shift.
Il s’agit donc d’un détournement de la méthodologie de Shift, qui aurait contribué à garantir un engagement sérieux de la part des entreprises. Lors d’un échange avec les évaluateurs des rapports dans le cadre du Pacte fin mars, l’un d’entre eux a expliqué qu’il s’agirait plutôt de disposer d’un « moyen de sensibilisation » pour les entreprises signataires. Or, le Pacte n’a pas pour objectif de sensibiliser les entreprises. Il s’agit d’un engagement formel de se conformer aux Principes directeurs des Nations Unies en matière droits humains et entreprises.
Une experte externe sur le sujet entreprises et droits humains confirme notre appréciation du questionnaire. Il est beaucoup trop général et il manque beaucoup d'informations importantes comme par exemple une explication globale de la manière dont les droits humains sont compris et abordés par l’entreprise, des détails sur les processus d'identification et de gestion des risques, l'identification claire des sujets saillants et l'approche de l’entreprise pour chacun d'eux. Ce questionnaire favorise une approche "cocher les cases" contraire à l'essence et au texte du UNGP Reporting Framework, et de la nature même de la diligence raisonnable en matière de droits humains. Par exemple, il ne s'agit pas seulement de cocher "travail forcé" mais de spécifier comment le problème se manifeste afin de démontrer la compréhension et la maitrise du sujet par l’entreprise. Il manque des indicateurs pour mesurer le progrès au fil du temps et des informations sur les engagements avec les parties prenantes. Le questionnaire est donc inadéquat sur plusieurs aspects.
En outre, l’approche "cocher les cases" est profondément opposée à l'approche privilégiée par le CSRD et les European Sustainability Reporting Standards proposés par EFRAG au niveau de l'Union Européenne, qui demande plutôt d'expliquer l'approche de l’entreprise face à ses sujets matériels. En ce sens, ce questionnaire n'aidera pas les entreprises luxembourgeoises à se positionner de manière sérieuse pour répondre aux attentes européennes. De ce fait, il est fortement déconseillé à des entreprises de s’engager dans une telle démarche vidée de substance qui ne fait que confirmer malheureusement certaines craintes et critiques au niveau d’un social and green washing.
Autres raisons pour le retrait de l’IDV
Des études importantes ont été réalisées dans le cadre des deux PAN auxquelles l’IDV a également contribué mais le gouvernement n’a pas donné suite à leurs recommandations principales. A cela s’ajoutent d’autres raisons pour ce retrait dont la liste n’est pas exhaustive :
refus de la part du gouvernement de dévoiler la position intégrale du Luxembourg dans les négociations au niveau de l’UE alors que ce travail fait précisément partie des actions du PAN 2 ;
refus de la part du MAEE de lier le rapport au conseil de gouvernement sur le PAN 2 avec son évaluation ;
manque de discussions de fond dans le groupe de travail. Depuis des années, les réunions traitent trop souvent de questions purement organisationnelles et procédurales malgré nos demandes d’échanger sur le contenu ;
manque de transparence au niveau du règlement européen sur les minerais de conflit : malgré nos demandes, ni le projet de loi, ni les amendements suite aux oppositions formelles du Conseil d’Etat ont été présentés au groupe de travail et aucun échange n’a eu lieu sur les enjeux.
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